AVEZ-VOUS UN TEXTILE PRÉFÉRÉ ?
Tout matériau qui a été créé à la main, où on peut voir la « patte » du créateur, la patine du temps ainsi que l'usure. J'aime pouvoir voir et toucher l’histoire d’un textile, connaître ce qu’il a vécu et l’histoire qu’il a à raconter. Un de mes ouvrages préférés est une broderie faite par ma maman, elle est assez simple mais avec beaucoup de personnalité. Je l'ai mise dans un petit cadre car c'est quelque chose de vraiment très précieux à me yeux. J'ai aussi récemment redécouvert un de mes premiers échantillons de tricot. Je l'avais évidemment gardé à l'époque, et il a survécu à tous les déménagements, comme une relique de mon propre voyage créatif ; un morceau apparemment sans importance, tricoté au hasard, du tweed combiné avec de la laine noire et écrue, imprégné de sens, et j’ai l’impression de tenir dans mes mains une partie authentique de moi.
OÙ TROUVEZ-VOUS VOTRE INSPIRATION ?
Je peux trouver l'inspiration dans tout et n'importe quoi. Je pense que c'est comme ça que je fonctionne. Mon esprit bourdonne toujours d'idées, la chose la plus simple peut le déclencher en plein d’idées, mais j’en reviens toujours aux paysages. L'inspiration vient naturellement en regardant les terrains changeants de la ville, du pays et de la côte. Il y a quelque chose de très formateur à observer comment le paysage change et évolue. Dans la nature, rien n’est stable très longtemps, il y a une constante évolution. En tant que personnes, nous pouvons souvent avoir peur du changement et de l'inconnu, mais je trouve personnellement cela très stimulant et énergisant. En ce moment, je suis dans mon atelier qui se trouve sur le front de mer, et j'aime regarder les nuages à la fenêtre, leur façon de se déplacer dans le ciel, créant des formes qui ne se répètent jamais. Puis tout d’un coup, le jour se dissout dans une brume rose et orange, descendant dans le bleu gris sombre de la mer alors que la lune se lève. Souvent, ces observations ne se traduisent pas directement par un design ou même une idée, mais prendre le temps d’être présent et de laisser vagabonder son esprit est crucial pour la créativité.
QUEL EST VOTRE POINT DE DÉPART POUR CRÉÉR ?
Habituellement une texture ou une fibre, et parfois une forme ou une silhouette, mais toujours la nuit. Veiller tard est une habitude née de la nécessité, pour respecter des délais ou pour dialoguer avec des collègues de différents fuseaux horaires. Mais même maintenant, je préfère encore souvent travailler la nuit, sans distractions, avec seulement un carnet de croquis et une tasse de thé. Quelque chose de magique se produit au cours d’une nuit calme, qui semble s'étendre au-delà des heures, offrant une liberté rarement trouvée pendant la journée lorsque le chien a besoin de sortir, qu’il faut répondre au téléphone. Je fais des tonnes de pages de dessins, et c’est à partir de ceux-ci que, dans la lumière froide et blafarde du petit matin, je peux faire des sélections et affiner mes idées.
COMMENT VOUS SENTEZ-VOUS LORSQUE VOUS AVEZ TERMINÉ UN PROJET ?
Je ne suis jamais satisfaite, au point que je n'ai jamais vraiment l'impression d'avoir terminé un projet ; j’ai toujours le sentiment que j'aurais pu peaufiner quelque chose, améliorer un montage, ajouter une couleur ou changer un encolure. Même quand je regarde des livres publiés, j'ai du mal à mettre ces idées de côté et à les considérer comme projets finis. La créativité est un processus plutôt qu'un événement, donc je trouve que le design est plus une évolution des idées précédentes plutôt qu'une feuille de papier complètement vierge. À certains égards, il est rassurant de savoir que vous n’avez pas à inventer quelque chose de complètement nouveau, mais en même temps cela peut être frustrant, car le design parfait n’est pas réalisable. Mais il y a toujours la délicieuse possibilité de mettre ces idées dans le projet suivant, et c'est ce potentiel qui m’attire.
Y A-T-IL UNE DIFFÉRENCE DANS LA FAÇON DONT VOUS CONCEVEZ LORSQUE VOUS CRÉEZ QUELQUE CHOSE POUR VOUS-MÊME ET QUAND VOUS DEVEZ RESPECTER UN CAHIER DES CHARGES ?
Essentiellement, le style de chacun est inhérent, j’ai une signature qui transparaît dans tout mon travail, mais si je n'ai qu'à me plaire, alors oui, mes créations sont plus extrêmes - plus audacieuses, plus expérimentales, plus intuitives. Mais en tant que designer, qui doit respecter un cahier des charges, il y a d'autres critères à remplir et vous devez en tenir compte pour que le design convienne ; il faut parfois brider ses idées, les adapter et peut-être faire plus simple afin que ce soit commercial.
LA VOIE EST-ELLE TOUJOURS TRACÉE QUAND ON SE LANCE DANS LA FABRICATION DE QUELQUE CHOSE OU LES CHOSES CHANGENT-ELLES AU FUR ET À MESURE ?
Mon processus de création personnel est complexe. Je prends beaucoup de temps à rassembler des choses, à dessiner, à changer, à tergiverser et à échantillonner avec le fil et les aiguilles, pour probablement revenir au dessin. C'est un processus d'expérimentation, de réflexion, d'altération, d'ajout, de soustraction, de raffinement, et il est important de rester flexible et de se permettre de faire des changements. Même une fois que vous commencez à tricoter, il peut encore y avoir des raisons de changer des choses au fur et à mesure de la progression - une technique peut ne pas fonctionner, ou les proportions peuvent devoir être modifiées, ou il peut y avoir une raison commerciale de changer une couleur ou un point. L'une des choses que j'aime dans le tricot à la main, c’est qu'il n'y a vraiment pas de règles et que tout le monde peut le faire ; vous avez le pouvoir de contrôler le drapé, la texture et la forme d'un vêtement, et si quelque chose ne fonctionne pas, vous pouvez toujours le détricoter et recommencer.
DANS QUELLE MESURE UN FIL/FIBRE DÉTERMINE-T-IL LA CRÉATION ?
Le fil est le plus souvent la source initiale d'un design, surtout si vous travaillez avec un cahier des charges. La fibre, la texture, la grosseur et la torsion d'un fil donnent tous des informations sur ce que peut être le design, et il est donc important d'échantillonner et de tester le fil pour connaître ses propriétés avant de commencer. Certaines races de moutons telles que Bluefaced Leicester produisent une laine suffisamment douce pour être portée à même la peau, cette laine respirante et hypoallergénique est donc adaptée aux vêtements de bébé ; tandis que d'autres fibres telles que le lin sont beaucoup plus grossières mais plus résistantes, et donc parfaites pour les coussins et les couvertures.
AVEZ-VOUS D'AUTRES PASSIONS CRÉATIVES ? Y A-T-IL DES SIMILITUDES AVEC LE TRICOT ?
J'adore l'architecture et toutes les formes de conception de produits. Je pense que les architectes feraient de grands tricoteurs ; la compréhension de la structure et de l'espace qu'ils ont pourrait se traduire en silhouette et en ajustements des vêtements sur le corps, et il y a beaucoup de croisements entre la technique et les mathématiques requises, ainsi qu’entre l’esthétique des matériaux utilisés dans les bâtiments et la fibre utilisée dans le tricot, et puis les différentes textures et formes utilisées pour obtenir différents effets. J'aurais aimé étudier l'architecture, mais j'aime aussi visiter les bâtiments et les expositions pour les apprécier sur le plan esthétique. J'aime aussi la structure naturelle des fleurs et des plantes, en particulier celles des fleurs séchées, dont la couleur devient moins importante et où tout est question de formes et des points complexes (même si j'aime aussi la couleur et la fluidité des végétaux vivants !). Marcher dans la nature est une source constante d'inspiration créative et j'aime trouver des pierres trouées le long des chemins, des coquillages sur la plage, et des feuilles et des brindilles séchées éparpillées parmi les haies et qui s’enroulent à travers les clôtures de la voie ferrée. Je ramène souvent ces trouvailles à la maison, comme souvenirs. Certains me servent pour le design, pour assortir des couleurs, pour trouver une nouvelle teinte de fil ; ou deviennent des talismans dans mon atelier.
